QUAND LES BANDITS DU CHEVALIER BOULAY S'EMPARAIENT DE MILLY ET PILLAIENT LA FOIRE DE SAINT-SIMON
LE 28 OCTOBRE 1570

 

C'était en 1570, les guerres de religion ensanglantaient et ruinaient la France déjà depuis bien des années. Catholiques et protestants étaient également las de ces luttes acharnées et stériles. Des deux côtés, on manquait d'argent, ce nerf de la guerre. Le gouvernement de Charles IX était à bout de ressources : il avait beau créer de nouveaux impôts, multiplier tailles et édits bursaux, le président de la Cour des comptes, le marquis de Nicolay, constatait que, non seulement les caisses de l'Etat étaient vides, mais encore qu'il existait un déficit de plus de 100 millions. Aussi le roi et sa mère Catherine de Médicis se voyaient-ils forcés, à leur grand regret, de conclure la paix.

Si la position pécuniaire des catholiques était mauvaise. Celle des protestants l'était bien plus encore. N'ayant pas comme ceux-ci le maniement des deniers de l'Etat, ils ne vivaient que d'expédients : " tout à la pointe de l'épée ! ". Leurs chefs, les Coligny, les Condé, le roi de Navarre lui-même, n'étaient pas riches, tant s'en fallait. Ils avaient bien pillé des églises, couvents ou monastères dont ils s'étaient emparés, mais tout l'or et l'argent qu'on y avait trouvé, les vases sacrés, reliquaires et autres objets précieux, convertis par la fonte en beaux deniers comptants, avaient servi à solder les troupes Allemandes, reîtres et lansquenets, venus au secours des calvinistes français et qui disaient : " Pas d'argent, pas d'Allemands ". Quand à toutes les cloches des églises qu'ils avaient enlevées, elles étaient livrées aux Anglais, qui en faisaient grand cas pour leurs fonderies de canons et qui ne voulaient pas recevoir d'autre valeur en remboursement des nombreuses avances d'argent qu'ils avaient fait.

Il y avait bien encore les riches domaines ecclésiastiques ou congréganistes qu'on avait sécularisés pour les vendre, mais personne n'en voulait dans la crainte d'une revendication future de la part des spoliés et cela, malgré la garantie formelle qu'offraient, et le prince de Condé et la reine Jeanne d'Albert sur leurs biens personnels et patrimoniaux.

FATIGUE ET RUINE : LA PAIX

Fatigués et ruinés, catholiques et protestants s'étaient donc vus forcés de mettre bas les armes et quoique les haines réciproques fussent loin d'être assouvies et les querelles religieuses terminées, on avait signé, le 8 août 1570, la paix dite : " Paix de Saint-Germain ". Mais cette paix n'était pas du goût de tout le monde. Elle gênait très fort tous ces ambitieux, ces aventuriers et gens sans aveu, qui surgissent d'ordinaire en temps de révolution, se font une carrière de la guerre civile, l'exploitent et en vivent

" CRACHER AU BASSINET "

Dans l'armée protestante, se trouvait bon nombre d'individus réunis en compagnies franches, sorte des bandes irrégulières et indisciplinées qui, n'était pas soldées, se payaient de leurs mains en pillant et ravagent les campagne, tantôt implorant des secours à la manière des mendiants de Gil Blas, l'escopette au poing, et tendant leur casque appelé bassinet, pour faire, comme ils disaient, " cracher au bassinet " et, le plus souvent, arrêtant les passants qu'ils détroussaient sans merci et allant même parfois jusqu'à s'emparer de villages entiers, qu'ils saccageaient, incendiaient et dont ils massacraient les habitants sans pitié.

Les paysans, qui les confondaient avec les pandours allemands, les appelaient " huguenots ", qui signifie associé par serment, et qui devint plus tard un terme de mépris appliqué à tous les calvinistes par opposition au mot papiste donné aux catholiques.

Ces bandits, gens de sac et de corde, comme dit Brandôme, ramassis de routiers et malandrins, sans foi ni loi, soldatesque en délire enivrée d'athéisme et d'alcool, étaient la terreur des campagnes.

Leurs chefs étaient dignes d'eux, individus déclassés, rebuts de la société, parfois fils de famille perclus de dettes et de vices, désoeuvrés et fainéants, gens capables de rien à la tête de gens capables de tout.

" LE GRAND LARRON DU GATINAIS"

Parmi ces bandes de pillards l'une d'elles se distinguait surtout par son audace et ses méfaits. Elle était commandée par un gentilhomme, le chevalier du Boulay, appartenant, dit Dom Morin, l'historiographe du Gâtinais " à une illustre maison qui eût de braves personnages, et quelques autres aussi qui n'ont rien valu et sont morts misérablement ; élevé par sa mère, qui était une vrai athée et obstinée hérétique, il avait été surnommé le grand larron du Gâtinais ".

C'était un homme plein de cautèle, beau parleur, lançant les gens dans les entreprises les plus périlleuses, mais s'esquivant au moment du danger, pour ne reparaître qu'à la curée et s'y faire la plus large part.

Son lieutenant un sieur de Bousteville, ne valait pas mieux que lui. Vieux routier, plein d'audaces et d'énergie pour le mal, intrépide au feu, sa figure labourée de cicatrices et brûlée par la poudre disait assez tout ce que sa vie de maraude lui avait valu d'arquebusades. C'était l'homme d'action de la bande. Il avait près de lui son fils qui, quoique tout jeune encore, l'égalait en audace et mauvais instincts, et aussi un vieux soldat nommé Lescaigne, son complice ordinaire, mais qui ne commandait qu'en sous-ordre.

RELIGIEUX EGORGES A MALESHERBES

Associés entre eux, ces quatre bandits à la tête d'un corps nombreux d'aventuriers bien aguerris et bien armés, faisaient le brigandage en grand, sous prétexte de guerre religieuse. Ils avaient pillé et incendié le couvent des Cordeliers, des Malesherbes, fondé par l'amiral de Graville et s'étaient même emparés par surprise, le 15 août 1569, de la ville de Ferrières-en-Gâtinais, place fortifiée et en avait dévasté et incendié la célèbre abbaye. Dom Morin, qui avait été grand prieur de cette abbaye et presque contemporain de ces faits, raconte les supplices atroces que ces misérables firent subir aux pauvres religieux, avant de les égorger, pour leur faire avouer où ils avaient caché les objets précieux du trésor de la sacristie ; supplices bien inutiles, car l'armée de Condé qui avait pillé cette riche abbaye quelques mois auparavant, avait tout emporté ; ils étaient donc arrivés trop tard. Ce n'était plus, dit Dom Morin, " que des chacals après le repas du lion ".

LA FOIRE DE MILLY CREE PAR LOUIS XI EN 1479

" Pour s'en dédommager, ils étendirent leurs brigandages sur toute la Beauce et le Gâtinais  et résolurent même de faire quarante lieues nous dit l'historien Jacques de Thou, auquel nous empruntons une partie de ce récit, pour venir piller une grande foire qui se tenait à Milly, petite ville très rapprochée de Paris. "

Cette foire était fort importante. Elle avait été établie par Louis XI en 1479, au profit de son cher et féal cousin Louis de Graville, baron de Milly, disent les lettres patentes " que ledit lieu de Milly qui était autrefois un beau bourg, bien édifié, peuplé et habité, mais qui avait été fort démoli, dénué et ruiné par les guerres et divisions passées, puisse être refait et édifié ".

Et, en effet, le sire de Graville, qui était un des plus riches seigneurs de France, avait fait tracer à l'extrémité est de la ville, une grande place de forme ovale, autour de laquelle il avait fait élever de nombreuses constructions pouvant servir de magasins ou d'hôtelleries et édifier sur cette place une grande halle couverte qui existe encore, telle qu'elle a été construite à cette époque, et dont l'immense toiture et la solide charpente témoignent assez de l'habilité de l'architecte qui en a dirigé la construction.

NOMBREUSES HOTELLERIES

Quelques-uns des anciens bâtiments que le sire de Graville avait fait construire autour de la place et qui servaient d'hôtelleries, se voyaient encore au commencement de ce siècle et étaient tous construits sur le même modèle :

grande cours avec bâtiment en fer à cheval autour duquel régnait en encorbellement une longue galerie en bois artistement sculpté, couverte en ardoises et donnant accès aux chambres de l'hôtellerie ; en façade, sur la place, de nombreuses fenêtres en forme de carrés longs garnies de châssis à coulisses glissant sur des meneaux de pierre ou de bois et vitrés de petits carreaux encastrés de plomb.

A l'entrée de l'hôtellerie, une vaste porte cochère cintrée au-dessus de laquelle se balançait l'enseigne dont les peintures laissaient fort à désirer, mais dont les ferrures ciselées et contournées étaient de vrai chef-d'œuvre de serrurerie : la plupart de ces enseignes n'étaient que des rébus ou jeux de mots fort à la mode autrefois et qui, à cette époque servaient d'annonces ou de réclames.

Il y avait l'enseigne du Signe de la croix, qui représentait un cygne enlaçant des blancs replis de son cou, une croix toute rutilante d'or ; à l'extrémité nord de la place se trouvait l'hôtellerie des Anges dont l'enseigne représentait une nuée de chérubins ailés berçant mollement un voyageur dont la figure béate disait assez qu'il se trouvait Aux Anges.

Plus loin, à gauche, proche de la porte de Lyon, on apercevait l'Auberge de l'Ordinaire avec son enseigne sur laquelle un peintre réaliste avait peint une table d'hôte plantureuse servie et ses convives dont la trogne fleurie et la panse rabelaisienne témoignait qu'à l'Ordinaire on y faisait chère lie.

A l'extrémité sud de la place, au carrefour des Quatres-Rues, appendait l'enseigne des Quatres-Vents représentant quatre têtes de Borée, aux joues gonflées comme des outres, soufflant, sifflant, faisant rage et forçant un pauvre voyageur qui n'en pouvait mais ... à venir implorer une hospitalité qui, sans doute, n'était pas écossaise.

HENRI IV AU "LION D'OR

Hotel du Lion d’Or

Au milieu de la place, en face le Marché au blé, se trouvait la grande hôtellerie du classique Lion d'or adopté par Henri IV, dont on montrait encore la chambre il y a quelques années et où descendait le roi Vert-galant quant il se rendait à Malesherbes porter à la jeune Henriette d'Entraigues ses belles promesses de mariage qu'il ne tenait jamais.

De toutes ces hôtelleries entourant la place des Halles, la plus importante sans contredit était celle du Lion d'or. "Cette hôtellerie, adoptée par Henri IV, était incontestablement la plus grande et la plus importante de toute la place des Halles, dont elle occupait au couchant la majeure partie ; elle était la mieux agencée pour mettre les voyageurs à l'abri des coups de main des malfaiteurs si fréquents à cette époque. Fermée à l'extérieur par une porte cochère bardée de fer, elle offrait à l'intérieur l'aspect d'une petite forteresse dont les ruines existent encore, avec donjon, contre-escarpe, chemin couvert, poterne et courtine ; assurant toute sécurité aux voyageurs qui y descendaient et leur permettant de déguerpir dans le cas où les assaillants seraient trop nombreux et de gagner la campagne par un sentier perdu, remplacé aujourd'hui par une très belle rue, qui n'a conservé que le nom de " Perdue " qui nous rappelle son ancienne origine ".

Toutes ces hôtelleries faisaient alors d'excellentes affaires grâce à la grande route de Paris à Lyon qui, à cette époque, traversait Milly et lui donnait une certaine importance industrielle et commerciale.

 

LES POSTES DE JUSTVISY, ESSONNE ET COURANCES

Voici, d'après le Guide des chemins de France, au XVIe siècle, l'itinéraire que suivaient jusqu'à Milly les voyageurs se rendant de Paris à Lyon : " Il y avait trois postes : Justvisy, Essonne et Courances ; la repue (le dîner) était à Essonnne, le goûter à Courances, le souper et le gîte à Milly, qu'il fallait, dit Dom Morin, se hâter de gagner avant la nuit, à cause du peu de sécurité qu'offraient les roches et bois des alentours. La route allait de là à Montargis, en passant par Noizy, le Vaudoué et la Chapelle-La-Reine ".

Les droits que les tenanciers ou locataires perpétuels de ces hôtelleries payaient au Seigneur de Milly et que l'on appelait censives, étaient peu élevés et comme ils dataient de fort loin et n'étaient pas progressifs, ils étaient devenus presque sans valeur, lorsqu'ils furent supprimés par la Révolution de 1789, comme droits féodaux.

A LA FOIRE DE MILLY : DE QUOI RAVITAILLER UNE ARMEE

Mais revenons à nos pillards de 1570. Le chevalier du Boulay, Bousteville et leur bande, qui étaient arrivés trop tard à Ferrière l’année précédente, comptaient bien s’en dédommager à la foire de Milly ; il y avait là, en effet, en denrées, bestiaux, literie, lingerie, vêtements, armes, et équipements, de quoi ravitailler toute une armée, sans compter les objets de luxe et  aussi l’escarpelle des chalants et marchands qui, grâce à la foire, devait être bien garnie.

On trouvait là ces petits vins que le Gâtinais produisait alors en abondance et qui était fort estimé ; de nombreux troupeaux de moutons destinés à l’hivernage, des vaches de toutes provenances, des chevaux de toute encolure, robustes percherons, brillants palefrois et modestes hacquenées. Comme armes et équipements militaires, armuriers et fourbisseurs étaient largement approvisionnés car, à cette époque, chaque guerrier s’armait et s’équipait à ces frais. Il y avait des casques de toutes formes, appelés morions, armets, salades et bassinets ; comme armures, des gorgerints, cuirasses, épaulières, brassards, cuissards, ect. ; comme armes blanches, des piques, hallebardes, des poignards, dagues, miséricordes ; comme armes à feu des arquebuses, des mousquets et des pistolets tous à mèche ou à rouet.

Les boutiques des drapiers et fripiers étaient surtout fort nombreuses, on y trouvait des blaudes (blouses), des limousines, des hoquetons et justaucorps, ect . ; pour chaussures des souliers à poulaine et mules de vaire (fourrure de peau d’écureuil) ; pour vêtements de femme, de gros tissus de bure ; pour leur toilettée, les riches soirées de Lyon, sans oublier ces fameux vertugadins dont le nom n’était qu’une antithèse.

En bijoux et joyaux, des anneaux de fiançailles, et pendants d’oreilles, des ceintures dorées, des châtelaines ou aumônières tissées d’or et de soie et enrichies de précieuses émaillures.

SAFRAN DU GATINAIS ET OIGNONS DE MILLY

Enfin, comme produit du pays, le safran du Gâtinais que l’on tenait, dit Dom Morin, pour le meilleur d’Europe, les oignons de Milly, que vante aussi Dom Morin et qu’estimait fort la reine Isabeau de Bavière, qui en envoyait quérir au marché de Corbeil pour faire ce qu’elle appelait son aigrun (aujourd’hui miroton), qu’elle mangeait avec quelque prince anglais dans son hôtel Saint-Paul de Paris.

Les chanvres que l’on faisait rouir dans les nombreux retoits, qui se voyaient tout le long de la rivière l’Ecole et aussi les châtaignes que l’on récoltait en grand nombre dans les bois de Milly et des environs, mais dont les arbres, d’abord détruits en partie par le grand hiver de 1709, ont fini par disparaître complètement il y à quelque année, lors des froids rigoureux de 1879.

Toutes  ces marchandises de nature et de valeur si diverses ne se vendaient pas sur la place des Halles. Plusieurs se trouvaient sur d’autres places et dans différentes rues de la ville qui, alors, empruntaient leur nom à l’industrie qui s’y exerçait, ainsi les cuirs, peaux, fourrures se vendaient rue des Pelletiers (aujourd’hui rue St Jacques) ; les chevaux, rue aux chevaux ; les articles d’orfèvrerie et bijouterie , rue aux Juifs (aujourd’hui rue du Lau et rue St-Blaise) où se trouvaient les argenteux, les prêteurs sur gage et à la petite semaine. Quant au marché aux fruits, il se trouvaient sur la place de la Croix-d’en-Bas (aujourd’hui place de la Mairie)

N’oublions pas non plus la race canine qui était fort à la mode et qui était très recherchée des amateurs, surtout du roi Henri III qui, disent les historiens, “ cherchait à s’en procurer de toutes les espèces, particulièrement de provenance de la ville de Lyon, qui passait pour avoir le monopole des plus belles races de chiens.

ENCEINTE DE MURAILLES ET DE FOSSES

C’est tout ce nombreux butin que le grand larron du Gâtinais, les Bousteville et consorts se proposaient d’enlever. Mais si la proie était tentante, l’entreprise était des plus hasardeuse. Il leur fallait franchir de grandes distances au milieu de population justement exaspérée contre eux, s’emparer de la ville de Milly, enceinte de murailles, de fossés et défendue par un château-fort appartenant au maréchal de Montmorency d’Amville et qui, à cette époque, était commandé, ainsi que l’indique une épitaphe scellée dans les murs de l’église de la ville “ par un brave capitaine nommé Robert de la Borne, archer des gardes du corps du duc d’Anjou, frère de Charles IX ”.

L’administration de la ville était alors confiée à un homme très vigilant, Bernard du Clos, conseiller du roi et bailly de Milly déjà depuis longtemps.

Quant aux objets précieux que contenait l’église paroissiale Notre Dame, il ne fallait pas songer à pouvoir les voler ; cette église se trouvait renfermée dans l’enceinte du château-fort et avait pour curé Jean de Maumont, prêtre d’une énergie bien connue, énergie même qui devait lui valoir quelques années plus tard l’insigne honneur d’être nommé député du clergé des baillages de Nemours et de Milly aux Etats Généraux réunis à Blois en 1576.

Mais ce qui augmentait encore les périls de l’entreprise, c’était la présence dans le voisinage de personnages importants :

-          le chancelier de Lhopital, qui, retiré dans sa terre de Vignay, avait conservé malgré sa disgrâce toute son influence sur l’esprit de la magistrature ;

-          Pierre Clause, secrétaire d’Etat et propriétaire de la seigneurerie de Courances, dont le château alors bien fortifié était défendu par une garnison de cent chevaliers commandés par le Seigneur d’Arpajon, très fougueux papiste qui, raconte l’historien protestant Agrippa d’Aubigné, dans son histoire secrète, “ l’aurait fait arrêter lui-même comme huguenot et l’aurait sans nul doute fait pendre par le bourreau de Milly, s’il n’était parvenu à s’échapper… ;

-          le premier président du parlement de Paris, Christophe de Thou, qui, en ce moment, passait ses vacances dans sa seigneurerie de Cély, accompagné de son fils Jacques de Thou, âgé alors de 17 ans et qui, témoin oculaire des faits dont nous parlons, les a consignés dans son grand ouvrage : l’Histoire universelle de son temps … ;

-          le conseillé du parlement de Paris, messire Jean Lejaud, propriétaire du château de Chambergeot et ;

-          enfin et surtout, le sire de Balzac d’Entraigues, gouverneur de la province de l’Ile de France, qui avait personnellement fort à se plaindre du chevalier de Boulay “ dont la bande avait précédemment saccagé la ville de Malesherbes, pillé et brûlé un célèbre couvent de cordeliers fondé par son aïeul maternel, le sire de Graville, qui y avait été inhumé, profané son tombeau et jeté ses cendres aux vents ”, ainsi que l’atteste une inscription que l’on voit encore dans la chapelle de Malesherbes.

DEGUISE A TRAVERS BOIS

Toutes ces considérations ne détournèrent cependant point du Boulay et Bousteville de leur projet et ils se mirent en marche avec leurs troupes vers la mi-octobre, pour arriver à l’ouverture de la foire de Saint-Simon, qui avait lieu le 28 de ce mois.

Afin de dissimuler leur dessein et de tomber à l’improviste sur les marchands et les forains qu’ils voulaient dépouiller, ils employèrent une petite ruse de guerre fort usitée à cette époque, appelée camisarde et qui avait pour objet de surprendre l’ennemi au moyen d’un déguisement. Ils firent donc endosser à leurs gens limousines et rouliers, blouses de charretier, mandrilles de  truands et de bohémiens, voire même robes de moines, capucins et cordeliers provenant de nombreuses charrettes destinées à enlever les marchandises et dans lesquelles ils avaient caché leurs armes et leurs munitions, d’autres déguisés en marchands et accompagnant de nombreux chariots dans lesquels s’était blottie une partie de leurs hommes, marchant la nuit et se cachant le jour dans les grands bois qui couvraient une partie du Gâtinais et réunissaient les forêts d’Orléans et de Montargis à celle de Fontainebleau.

LE PONT A PEAGE DE BUNO

Ils arrivèrent ainsi sur les bords de l’Essonne, qu’ils espéraient pouvoir passer à gué entre la ville de La Ferté-Alais et le bourg de Maisse-le-Maréchal, mais les pluies de l’automne, qui avaient grossi la rivière, rendaient les gués impraticables et il ne fallait pas songer à se servir du pont qui existait à La Ferté-Alais, car la ville était bien fortifiée et l’on y faisait bonne garde. Ils durent donc remonter l’Essonne jusqu'à un péage, ce que le chancelier de Lhôpital venait de faire établir à Buno, village dont il était propriétaire pour une partie avec le seigneur de Milly.

Ce pont à pente rapide et qui existe encore presque tel qu’il a été construit à cette époque, était commandé par un petit fortin qui en assurait le péage et dont on ne voit plus que quelques ruines dans un des îlots de la rivière.

Ce fortin n’était pas de nature à arrêter du Boulay, qui s’en empara facilement et fit passer toutes ses voitures et tout son monde sans payer, bien entendu, et sans se soucier des plaintes et réclamations des gardiens péagistes. Puis, il se dirigea sur le plateau qui domine Milly à l’ouest, qu’on appelle aujourd’hui le plateau des fermes, mais qui à cette époque était recouvert en grande partie de bois, dont les fourrés inextricables étaient à souhait pour une embuscade et dont une parcelle qui n’a pas été défoncée porte encore le nom de bois de l’Embûche.

A L’AUBE DANS MILLY PAR PETIT GROUPES …

Il fit cacher ses gens dans ce bois pour y passer la nuit, en attendant l’ouverture des portes de Milly et, dès l’aube, ils descendirent du plateau et s’introduisirent dans la ville. Pour ne pas éveiller les soupçons par une si grande affluence du monde, Bousteville avait divisé sa troupe en petits groupes.

Les uns entrèrent par la porte Saint-Blaise, qui était près du château et traversèrent la rivière de l’Ecole sur le pont-levis de la Corne, ainsi appelé parce qu’il était à la corne du mur d’enceinte. Les autres contournèrent la ville et y entrèrent par les portes de Melun, de Paris, de Fontainebleau, de Lyon, de Saint-Jacques et par celle dite la Porte-aux-Gernouilles parce qu’elle était près des marais qui défendaient les approches du château.

Tous ces nouveaux venus augmentaient considérablement le nombre de gens se rendant à la foire, à la grande joie des hôteliers, taverniers et marchands, qui s’en promettaient une copieuse recette.

DES CENTAINES D’HOMMES ARMES JUSQU’AUX DENTS …

Entrés dans la ville, ils se postèrent dans les différents endroits où se tenait la foire et particulièrement sur la place des Halles où se trouvait le plus grand nombre des boutiques et sur les places du Colombier et du marché aux bestiaux, où se tenaient les marchands de bestiaux. Puis à un signal convenu, tous les déguisements tombèrent à la fois comme par un coup de théâtre et apparurent des centaines d'hommes armés jusqu'aux dents, qui se ruèrent sur les marchands forains, les forçant, pistolet sous la gorge, à charger eux-mêmes leurs marchandises dans les voitures.

Ce ne fut alors qu'un tumulte et un brouhaha indescriptibles. On n'entendait partout que cris, menaces, jurements et vociférations mais Bousteville ayant fait saisir les plus récalcitrants, menaçant de les faire pendre aux piliers des halles, la terreur s'empara de tout le monde et les pillards purent voler tout ce qui était à leur convenance, entassant pêle-mêle dans les véhicules (qu'ils contraignaient maîtres et domestiques de conduire eux-mêmes) meubles, vêtements, literie, armes, bijoux, denrées sans oublier bien entendu, les muids de vin qu'ils avaient fait charger sur des hacquets et les ustensiles de cuisine, parmi lesquels figuraient surtout les huguenotes dont les huguenots faisaient grand usage et auxquelles ils avaient donné leur nom, qu'elles ont conservé.

 

MENACES DE PENDAISON

 

En même temps, du Boulay avait fait enjoindre aux maquignons, bouviers et bergers, sous peine d'être pendus, d'avoir à conduire de suite tout leur bétail à la porte Saint-Pierre, par laquelle il se proposait de quitter la ville pour reprendre le chemin par lequel il était venu. Tout cela s'était fait en grande hâte et les pillards avaient pu commencer leur retraite dans l'après-midi, emmenant avec eux un immense convoi qui avait, dit-on, plus d'un quart de lieue d'étendue.

Le gouverneur du château de Milly, le brave capitaine Robert de Laborgne n'avait pu s'opposer à ce pillage : il n'avait avec lui que quelques hommes d'armes, et attaquer cette nombreuse troupe de brigands eut été s'exposer à une défaite certaine et de plus risquer de faire mettre le feu à la ville et massacrer tous les habitants par ces forcenés qui, au rester, avaient eu soin pour ne pas se rendre la population trop hostile, de "crier bien haut pendant le pillage qu'ils n'en voulaient qu'aux marchands forains, que quant aux habitants, il ne leur serait rien fait, ni rien pris".

De Laborne ne put donc que mettre le château en état de défense en faisant lever le pont-levis, baisser les herses et fermer la bonde destinée à faire refluer les eaux de la rivière dans les fossés entourant le château et à inonder les marais qui, au Midi, en défendaient les abords : mais dès le matin, il s'était empressé d'envoyer un exprès à Malesherbes pour avertir le sire Balzac d'Entragues de ce qui se passait à Milly et implorer son secours.

 

EMBUSCADE RATEE

 

Celui-ci avait déjà été prévenu qu'une bande de huguenots avait forcé le passage du pont de Buno mais il en ignorait la destination. Quand il apprit que son but était le pillage de la foire de Saint-Simon, il se hâta de rassembler les quelques troupes qu'il avait à sa disposition, de se porter sur Buno et d'en faire barricader le pont, pensant bien que les pillards allaient reprendre le chemin par lequel il étaient venus et se proposant de les attaquer à leur passage.

Mais, du Boulay ayant su, par ses éclaireurs, que le pont était gardé, se décida à changer d'itinéraire, à quitter le Gâtinais par le grand chemin de Lyon, pour gagner l'Hurepois et se joindre aux reîtres allemands, qui n'avaient point encore évacué cette province, espérant que ceux-ci viendraient à son aide contre Balzac, en leur promettant de partager avec eux son riche butin.

Il fit donc faire volte-face à ses gens et au convoi qu'ils escortaient et revient sur Milly, au grand effroi des habitants qui, redoutant le pillage de la ville, se gardèrent bien de l'arrêter. Il ne songeait au reste qu'à fuir, craignant d'être attaqué par les troupes de Balzac.

Mais ce vieux chemin de Lyon, qui n'avait point été réparé depuis longtemps et qui ne devait l'être que trente ans plus tard par les soins de Sully, était dans un état affreux : ce n'était partout qu'ornières et fondrières, où les voitures surchargées et les chevaux surmenés s'embourbaient à chaque instant.

 

PENDUS AUX ARBRES DU CHEMIN !

 

Les malheureux conducteurs qu'on avait réquisitionnés et qu'on forçait de livrer eux-mêmes les marchandises qu'on leur volait, ne marchaient non plus qu'à regret, malgré la terreur que leur inspirait Bousteville, qui en avait fait pendre quelques-uns aux arbres du chemin, pour effrayer les autres. Dans ces conditions, le convoi n'avançait donc que lentement et à grand peinte.

Lorsque Balzac, qui attendait les malandrins avec ses troupes au pont de Buno, apprit qu'ils avaient rebroussé chemin, il se résolut de les poursuivre. Cependant, comme la nuit était venue, il ne se mit en marche que le lendemain matin, redoutant quelque embuscade dans le bois de l'Embûche, qu'il lui fallait traverser.

Arrivé à Milly, où il fut reçu comme un sauveur, il y trouve une foule de paysans qui, armés de fourches et de faux, étaient accourus des villages voisins au secours de la ville et qui, réunis à un grand nombre d'habitants de Milly, commandés par le gouverneur du château, se joignaient à lui, pour se mettre à la poursuite des pillards.

 

POURSUITE A LA TRACE

 

Il était facile de les suivre à la trace, car la route était jonchée d'objets de toute nature, qu'ils avaient été forcés de rejeter pour alléger leur marche : ils avaient même dû abandonner dans le village du Vaudoué une partie de leurs voitures, n'ayant pu leur faire gravir une cote fort ardue appelée Montage de casse-bouteilles. Aussi, quoiqu'ils eussent une avance de plus de vingt-quatre heures sur Balzac, celui-ci parvient à les atteindre après Nemours, dans les environs de Lorrez-le-Bocage.

Du Boulay, se voyant sur le point d'être pris se décida à se réfugier dans un château bien fortifié appelé Ville-Maréchal, appartenant à Jean Olivier, évêque de Lambez et dont il s'empara par surprise. Il y fit entrer tout son monde et s'y installa fortement en sorte que lorsque Balzac qui le suivait de près, arriva, il trouva le château en état de défense et les portes bien fermées. Il ne pouvait songer à en faire le siège, car il n'avait que peu de troupes régulières et la foule de gens, qui le suivaient, mal armés et mal aguerris, étaient incapables de pareille entreprise. Heureusement, dit Jacques de Thou, "Balzac trouva fort à propos Ernest de Mansfeld, qui s'en retournait en Flandres, avec les troupes que Philippe II, roi d'Espagne, avait envoyés au roi Charles IX. Il le pria de les lui prêter pour quelques jours, Mansfeld y consenti, il assiégea  le château".

 

LE CHEF S'ENFUIT

 

Mais ce siège pouvait durer fort longtemps, car les assiégés étaient largement pourvus de vivres, grâce à toutes les denrées et à tous les bestiaux qu'ils avaient trouvés à la foire de Milly, et l'on ne pouvait battre le château en brèche.

Mansfeld n'ayant pas d'artillerie, arme encore fort rare à cette époque, Balzac, pour s'en procurer, s'adressa à Juvénet des Ursins, qui était alors lieutenant-général de Paris. Celui-ci envoya deux fort canons de siège, avec lesquels il se mit en mesure de démanteler les murailles du château. Ce que voyant le rusé du Boulay songea comme à l'ordinaire de s'esquiver ; il réunit ses compagnons, leur fit de beaux discours, les exhortant à se défendre et leur promettant s'ils voulaient faciliter sa fuite, de leur amener du secours pour les délivrer ; et un beau matin, on simula une sortie, dont il profita pour se sauver, emportant avec lui, l'argent, les bijoux et tout ce qu'il y avait de plus précieux dans le butin qu'on avait fait dans la foire de Milly.

Il lui était facile de se diriger dans cette partie du Gatinais, il était né au château du Boulay près de Souppes, qu'il avait vendu après la mort de sa mère, au chancelier Bruslard et dont il avait dissipé le prix en folles dépenses.

Puis, peu soucieux de venir au secours des siens, qu'il avait selon Dom Morin, "vilainement ainsi donnés", il vint se réfugier dans la petite ville de Courtenay près de Montargis, où il avait bon nombre d'adhérents et se tint caché à l'hôtellerie des Trois Mûres, où le tavernier était un de ses complices, laissant ses compagnons se tirer d'affaire comme ils le pourraient.

 

LES BANDITS MASSACRES PAR LES PAYSANS

 

Cependant, Balzac poussait vivement le siège du château de Ville-Maréchal et la brèche était assez grande pour permettre de prendre la place d'assaut. Bousteville, de son côté, s'y défendait avec acharnement. Néanmoins, voyant qu'une plus longue résistance devenait impossible, il proposa de se rendre à la condition d'avoir la vie sauve et de se retirer avec armes et bagages. Balzac refusa d'abord toutes propositions, exigeant une reddition à merci ; pourtant      sachant Bousteville capable de faire sauter le château pour s'ensevelir sous ses ruines avec les assiégeants  et voulant ménager la vie des troupes que Mansfeld lui avait prêtés, il consentit à laisser sortir les assiégés, à la condition qu'ils n'auraient ni armes, ni bagages, mais les paysans outrés de tous les maux qu'ils leur avaient faits se précipitèrent sur eux à la sortie et les massacrèrent en grande partie, à l'exception de Bousteville, de son fils et de Lescaigne, qui demeurèrent prisonniers.

 

... SAUF TROIS PENDUS AUX FOURCHES PATIBULAIRES DE MILLY

 

Le premier président Christophe de Thou, qui avait personnellement connaissance de tous ces faits, évoqua l'affaire au Parlement et malgré les instances de Balzac qui voulait qu'on gardât la capitulation faite avec les trois prisonniers,  le grand Prévôt les livra à la justice et les fit comparaître devant la chambre criminelle du Parlement de Paris qui, persuadée qu'on n'était pas obligé de suivre à leur égard les lois de la guerre, qu'ils étaient moins des belligérants que des voleurs de grands chemins : que les crimes qu'ils avaient commis n'étaient point des faits de guerre, mais des crimes de droit commun, auxquels la religion et la politique étaient étrangères ; qu'au surplus, ils avaient violé le traité de paix de Saint-Germain, les condamna à être pendus comme traîtres et brigands publics. L'arrêt ordonna en outre que, conformément à l'édit du chancelier Lhôpital de 1566, prescrivant l'exécution des criminels au lieu où le crime a été commis, les condamnés seraient exécutés à Milly.

Bousteville, son fils et Lescaigne furent donc livrés au gouverneur du château, Robert de Laborne, qui les fit pendre par le bourreau de Milly, aux fourches patibulaires seigneuriales élevés sur le bord du grand chemin de Paris à Lyon, où ils restèrent longtemps exposés, pour servir d'exemple et effrayer les malfaiteurs qui, alors, infestaient la route de Lyon.

 

DEVORES PAR LES CORBEAUX

 

Leurs cadavres furent dévorés par les bandes de corbeaux, attirées par le gibet seigneurial et qui avaient leur repaire dans les roches du voisinage, que l'on appelle les Roches-Corbeaux.

Quant au chevalier du Boulay, qui était parvenu à se soustraire aux rigueurs de la justice et qu'on n'avait pu condamner que par contumace et exécuter qu'en effigie, il finit aussi misérablement peu de temps après tué d'un coup de pistolet, par un jeune page, dans une nuit de débauche, à cette hôtellerie des Trois-Mûres, où il s'était caché.

Ainsi se termina cette vieille et lugubre histoire du pillage de la foire Saint-Simon, rapportée par Dorn Morin et par Jacques de Thou et donc les curieux détails, transmis d'âge en âge à Milly par la tradition, restaient encore gravés dans la mémoire de quelques vieillards au commencement de ce siècle, mais paraissent maintenant presque complètement oubliés.

 

 

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